Le rhum a la réputation d’être un alcool « sucré », peut-être parce ce qu’il est produit à partir de sucre de canne. Mais ça n’est pas le cas.

Toute distillation consiste à transformer une matière première sucrée en alcool, mais qu’il s’agisse de seigle (Rye Whisky), de maïs (Bourbon), de n’importer quoi (vodka) ou de sucre de canne (rhum), ça ne change rien : l’alcool qui sort de l’alambic après transformation du sucre ne contient… plus de sucre, et un rhum embouteillé directement à la sortie de l’alambic ne contient donc pas de sucre du tout.

D’oĂą, alors, vient le goĂ»t sucrĂ© de beaucoup de rhums ? Logiquement, s’il n’est pas prĂ©sent Ă  la sortie de l’alambic, il est ajoutĂ© a posteriori de la distillation. Est-ce que ça peut venir du fĂ»t dans lequel il vieillit ? De fait, s’il reste 3 ans dans un ancien fĂ»t de brandy, on peut imaginer que des notes un peu sucrĂ©es passent dans le rhum lui-mĂŞme. Mais c’est très marginal. L’explication est plus simple : il est ajoutĂ©. Parfois pour de bonnes raisons : l’ajout d’un peu de sucre peut aider Ă  stabiliser le produit entre deux lots, pour obtenir une qualitĂ© constante. La pratique est rĂ©glementĂ©e dans le cognac, avec une limite Ă  2 g par litre qui ne change pas le goĂ»t de façon significative.

Mais certaines marques ajoutent du sucre dans le rhum pour l’altérer, pour diminuer ou éliminer la petite brûlure d’alcool qu’on sent en bouche, donner du goût, et plus généralement pour s’adapter aux palets d’une clientèle internationale qui souhaite des produits « faciles à boire ». Et à la différence du cognac, il n’y a pour le rhum pas de limites. Car le rhum n’a pas de règles. Qu’est-ce qu’un rhum ? N’importe quel alcool produit à partir de sucre de canne. C’est le Far West de la distillation et, faute de réglementation, la transparence sur les produits est très limitée.

En Finlande et en Suède, néanmoins, la loi oblige les marques à déclarer la teneur en sucre de leur alcool. On connait donc les quantités de sucre pour les marques vendues là-bas. On apprend ainsi que Havana Club Añejo Blanco contient 3 gr/l de sucre, Dillon Très Vieux Rhum moins de 3 gr/l, mais Diplomático Reserva Exclusiva 12 Años 41 gr/l, Ron Zacapa Gran Reserva 41 gr/l, etc. Ces rhums-là sont tellement sucrés que ce sont quasiment des liqueurs.

La pratique semble particulièrement rampante en Amérique Centrale et du Sud (Nicaragua, Guatemala, Guyana, Venezuela par exemple).

Le goût est aussi influencé par la couleur, et un rhum avec une couleur caramel aura l’air âgé, alors qu’il ne l’est pas forcément. Car en sens inverse un rhum vieilli en fût peut être vieux et tout à fait transparent. C’est qu’il a été filtré au charbon après avoir passé une année ou deux, ou trois, en fût. C’est le cas pour Bacardi Carta Blanca, et de nombreux rhums dans la tradition cubaine.

Mais en l’absence de réglementation, pourquoi ne pas faire d’une pierre deux coups, goût et couleur, et ajouter carrément… du caramel dans son rhum ? Ça arrive.

Bref, ne vous fiez pas à la couleur, ne vous fiez pas au sucre, ne vous fiez à rien : personne, au fond, ne sait ce que c’est qu’un rhum, et ce n’est pas l’étiquette du produit qui vous le dira.

Il faut les goûter.

Si les dernières fois je vous ai proposé des recettes de cocktails, cette fois dégustons un rhum neat.

DĂ©gustation du rhum H.S.E Black Sheriff

Comme son nom le laisse entendre, c’est un rhum amĂ©ricain. Vieilli 3 Ă  4 ans (et pas seulement fini) en fĂ»ts de Bourbon, ce qui lui donne un goĂ»t Ă©picĂ© et sucrĂ©. On perd nettement les notes d’herbe d’un rhum agricole. A environ 30€ la bouteille, et avec ce goĂ»t-lĂ , c’est un rhum d’initiation pour ceux qui viendraient du monde du whisky, oĂą pour ceux qui arrivent au rhum avec les attentes d’un palais assez sucrĂ©. HSE court aussi le risque avec cette tentative de mĂ©contenter tout le monde : les amateurs de rhum, qui le trouvent quelconque et trop sucrĂ©, et les nĂ©ophytes, parce qu’Ă  la fin ça reste un rhum. Un bon point d’entrĂ©e dans le rhum, nĂ©anmoins, Ă  condition de ne pas en rester lĂ .