Un sujet me tient à cœur : le rhum. Vous n’avez pas signé pour ça en arrivant sur ce site, je sais, mais vous avez tout de même signé pour passer de temps à autre dans l’arrière-cuisine. Dans mon arrière cuisine, il y a du rhum, et je me charge de vous convaincre de l’intérêt du sujet.

Je dois donc vous prĂ©venir que cette rubrique sera rĂ©gulière. Ceci Ă©tant, comme vous ĂŞtes nĂ©ophytes (probablement), commençons par quelque chose de facile, le ti’punch.

Il y a traditionnellement trois cultures du rhum : anglaise (rum), espagnole (ron) et française (rhum). Mettons Ă  part le BrĂ©sil et la cachaça : c’est un cas particulier. La France dispose d’une culture très spĂ©cifique du rhum agricole qui est, si on veut, un rhum chic, malgrĂ© son nom. C’est une production très marginale (2% de la production mondiale) : la plus grande part des rhums produits dans le monde le sont Ă  partir de la mĂ©lasse de canne Ă  sucre, qui est le rĂ©sidu noirâtre laissĂ© par la production du sucre. La mĂ©lasse contient encore assez de sucre pour faire de l’alcool, mais plus assez pour qu’il soit rentable de l’extraire pour le sucre lui-mĂŞme. Mais c’est la mĂ©lasse, et non le jus de canne, qui est Ă  l’origine du rhum : les premiers sont produits, probablement sur les exploitations sucrières de la Barbade et de la Martinique dans les annĂ©es 1630-1640, Ă  partir de cette mĂ©lasse, qui Ă©tait utilisĂ©e pour l’alimentation des esclaves, entre autres, et qui fermente naturellement sous le climat tropical. Je ferais probablement une autre fois un ou plusieurs billets sur la passionnante histoire du rhum et le rĂ´le jouĂ©, par exemple, par la communautĂ© juive nĂ©erlandaise dans cette invention.

Le rhum agricole est produit directement Ă  partir du jus de canne (le vesou). Il ne s’agit donc pas d’un produit dĂ©rivĂ©, c’est plus cher, plus chic. Et rhum agricole de Martinique est la seule appellation d’origine contrĂ´lĂ©e (AOC) au monde pour le rhum. La France… Il ne faut pas pour autant en dĂ©duire que les rhums agricoles sont systĂ©matiquement supĂ©rieurs aux autres, c’est simplement une tradition spĂ©cifique. L’AOC a d’ailleurs des effets de bord : c’est un règlement très strict, qui encapsule un terroir et une façon de faire, dont on ne peut pas dĂ©vier et qui peut aussi limiter l’innovation. En 2014, l’habitation St Etienne (HSE) en Martinique a ainsi choisi de s’Ă©carter de l’AOC pour crĂ©er le Black Sheriff, un rhum vieilli en fĂ»ts de bourbons importĂ©s du Kentucky et du Missouri, qui lui donnent un goĂ»t très spĂ©cifique.

Toujours est-il que le rhum agricole incarne la tradition du rhum français, et que le ti’ punch est la boisson par excellence du rhum agricole. Dans la plupart des Ă®les françaises, c’est aussi tout un rituel, qui a ses codes. Il y a des puristes. Commençons par le sucre. C’est normalement du sucre (de canne, c’est implicite). Mais certains mettent du sirop de canne. D’oĂą la question qui vous sera posĂ©e si quelqu’un vous prĂ©pare votre ti’ punch : « sucre ou sirop ? » Les fantaisistes peuvent remplacer le sucre par un peu de miel. C’est tolĂ©rĂ©. Il faut ajouter du citron vert, coupĂ© en quartiers d’environ un quart : en presser un entre les doigts au dessus du verre et y jeter ensuite l’Ă©corce. Ou pas, mais lĂ  vous assumerez. Ne pas presser le citron au presse-citron, ne pas utiliser du jus de citron, ne pas utiliser de citron jaune, ne pas insulter votre hĂ´te.

Il faut parfaitement assimiler sucre et citron avant de verser le rhum. Si vous ĂŞtes vraiment puriste, ou si vous voulez impressionner les touristes, vous mĂ©langez en utilisant un bois lĂ©lĂ©, qui est un petit bâton terminĂ© par un nĹ“ud de trois Ă  cinq branches, qui sert Ă  lĂ©ler ou mĂ©langer sucre et citron. Une petite cuillère fait l’affaire.

Maintenant, le rhum : blanc, peut-ĂŞtre ambrĂ©. Mais a priori pas vieilli. Un rhum agricole, c’est certain, mais lequel ? En Martinique, capitale du rhum agricole, il reste moins de 10 distilleries et chacun a sa prĂ©fĂ©rence, qui est souvent locale : La Mauny ou Trois Rivières au sud, Dillon ou La Favorite Ă  Fort-de-France, J.M., HSE et St James au Nord et Ă  l’Est, Neisson ou Depaz dans le Nord-CaraĂŻbe. Pour ce qui me concerne, je privilĂ©gie le Neisson blanc ou le Depaz ambrĂ© (sous le bois).

La quantité ? Un doigt, dit la tradition. Mais il est malséant de verser le rhum de vos invités : chacun se sert, on ne voudrait pas préjuger de ce que vous êtes capable d’encaisser.

Pas de glaçons pour Ă©viter la dilution, mais idĂ©alement, le verre devrait ĂŞtre frais. Avec si peu d’ingrĂ©dients et d’Ă©laboration, le ti punch est un ur-cocktail, alcool + aciditĂ© + sucre, une base minimaliste qui sert de piĂ©destal au rhum agricole que vous utilisez. Un Depaz dorĂ© sent un peu le miel, la canelle, un Neisson blanc la rĂ©glisse.

Recette du ti’punch

  • 1 bonne cuillère Ă  cafĂ© de sucre de canne
  • 1/4 de citron vert
  • 1 doigt de rhum, ou 2

Image Arnaud 25 — Ti’Punch