Le premier Congrès se réunit en mars 1789 à Federal Hall, 26 Wall Street, à New York. Au menu : l’élection de George Washington comme Président et de John Adams comme vice-président, la décision de créer une capitale dans le sud du pays (victoire des états du sud) et de faire assumer par le gouvernement fédéral les dettes des états membres (victoire des états du nord). Et aussi, bien sûr, suite logique du difficile processus de ratification : il faut amender la constitution.

La tâche va être prise en main par James Madison, dont il faut saisir la situation personnelle pour comprendre sa position sur le sujet des amendements. Madison, qui a participé à la rédaction de la Constitution, est un politicien Fédéraliste, coauteur des Federalist Papers au moment des débats sur la ratification. Il est originaire de Virginie et joue un rôle de premier plan dans la ratification dans son état. Au début des débats, il semble que les Anti-Fédéralistes, opposés à la ratification, soient majoritaires, et à ce moment-là, seulement huit états ont ratifié. Étant donné l’importance de la Virginie il est possible qu’un rejet ici entraîne un rejet dans l’état de New York et, finalement, un échec du processus. Par ailleurs George Washington est aussi Virginien : si l’état n’entre pas dans l’Union, il ne peut devenir Président. Pour finir, l’élection de Madison lui-même au 1er Congrès est très contestée : il ne l’emporte qu’après avoir promis des amendements.

Les débats au sein de l’assemblée de Virginie ne se concentrent pas directement sur la garantie des droits individuels, et encore moins sur la liberté de parole, ils tournent autour de la question de la souveraineté des états et, spécifiquement, du souhait des Anti-Fédéralistes virginiens de voir l’esclavage garanti. Tout le débat tourne autour de ça. Patrick Henry, avocat, vétéran de la révolution et planteur, dénonce la capacité de l’état fédéral non seulement à établir une conscription militaire et donc à conscrire les esclaves, ce qu’il assimile à une expropriation, mais encore à émanciper ces conscrits à la fin de leur service. Pire, du fait de ses capacités de lever des taxes, un état fédéral contrôlé par le Nord pourrait taxer l’esclavage dans des proportions telles que l’institution serait économiquement éliminée. James Madison, de son côté, assure ses concitoyens virginiens qu’il s’agit là d’une théorie complotiste, que les États-Unis n’ont aucunement l’intention de s’en prendre à l’esclavage, et que ce dernier est bel et bien garanti, par exemple en IV, 2, 3 (la Fugitive Slave clause, abrogée en 1865) :

No person held to service or labour in one state, under the laws thereof, escaping into another, shall, in consequence of any law or regulation therein, be discharged from such service or labor, but shall be delivered up on claim of the party to whom such service or labour may be due. [Une personne qui, tenue à un service ou un travail dans un État en vertu des lois y existant, s’échapperait dans un autre, ne sera libérée de ce service ou travail en vertu d’aucune loi ou réglementation de cet autre État, mais sera livrée sur la revendication de la partie à laquelle le service ou travail peut être dû.]

Bref, dit en substance Madison : votre liberté individuelle de propriétaires d’esclaves est garantie. Mais la ratification reste incertaine, et pour convaincre les Anti-Fédéralistes hésitants il propose en Virginie le même compromis que dans le Massachusetts : ratifions, et amendons ensuite. Il l’emporte par 89 voix contre 79.

La crainte de Madison et des Fédéralistes modérés, c’est que des élections amènent au Congrès une majorité Anti-Fédéraliste, et qu’on se lance dans une réécriture complète de la Constitution. Il faut faire des concessions pour éviter cet écueil et James Madison rédige des propositions. Il peut s’appuyer pour son travail sur les propositions que les différents états ont parfois attaché à leur ratification, plus de deux cents propositions au total. Mais dans cette masse, Madison fait son marché : il ne retient pas leur demande de limiter le pouvoir de taxation de l’état fédéral, par exemple. Et il ajoute des choses que personne n’a demandé : c’est le cas de son 4e amendement, qui deviendra une partie de notre 1er amendement. Sa rédaction initiale est la suivante :

The Freedom of Speech, and of the Press, and the right of the People peaceably to assemble, and consult for their common good, and to apply to the Government for a redress of grievances, shall not be infringed. [La liberté d’expression et de la presse, et le droit du peuple à se réunir pacifiquement, et à se consulter pour leur bien commun, et à faire appel au gouvernement pour obtenir réparation de torts subits ne seront pas enfreints.]

Madison présente ses propositions dans son discours du 8 juin 1789. Il faut attendre le 21 juillet 1789 pour que sa proposition soit envoyée en comité. La Chambre, à majorité Fédéraliste, n’est pas très motivée et il faut le prestige et la motivation de Madison pour faire avancer le dossier. Le Congrès, finalement, condense les amendements proposés, mais les accepte en substance. À une exception près : ils rejettent la proposition de Madison que le Bill of Rights s’applique aux états, il ne s’appliquera qu’au niveau fédéral.

Au final, c’est dix amendements qui sont votés, puis ratifiés par les états. La clause de liberté d’expression et de la presse est fusionnée avec une autre concernant l’établissement de la religion, pour aboutir au Premier Amendement actuel :

Congress shall make no law respecting an establishment of religion, or prohibiting the free exercise thereof; or abridging the freedom of speech, or of the press; or the right of the people peaceably to assemble, and to petition the Government for a redress of grievances. [Le Congrès ne fera aucune loi qui touche l’établissement ou interdise le libre exercice d’une religion, ni qui restreigne la liberté de parole, ou de la presse ; ou le droit qu’a le peuple de s’assembler paisiblement et d’adresser des pétitions au gouvernement pour la réparation des torts dont il a à se plaindre.]

Plusieurs choses sont à noter dans tout ce processus :

  • la tactique politique a joué un grand rôle. Il ne s’agit pas directement d’une lutte principielle sur la liberté : Madison et les Fédéralistes modérés concèdent des articles qui concernent les libertés individuelles (avec le sous-texte de l’esclavage) pour ne pas avoir à rediscuter de l’équilibre des forces entre institutions fédérales et états.
  • dans le bill of rights, la question spécifique de la liberté d’expression est une proposition individuelle de Madison, mais elle ne semble pas donner lieu à beaucoup de débats. C’est une question relativement secondaire, acceptée comme une sorte d’évidence : ça n’est pas inutile, mais pas indispensable.
  • le bill of rights, et son premier amendement, visent essentiellement à protéger l’individu du Gouvernement, on ne cherche pas à régler la question de la liberté d’expression dans la société en général.

A lire sur le sujet : Richard Labunski. James Madison and the Struggle for the Bill of Rights. Oxford University Press, 2006. Ce billet fait parti d’une série sur le 1er amendement de la constitution des États-Unis :

  1. Ratification de la constitution
  2. le Bill of Rights
  3. les Lumières écossaises
  4. les 100 premières années
  5. un « danger clair et immédiat »
  6. Vietnam et au-delà